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Publié en 1877 aux Editions
Belin frères par Mme Augustine Fouillée (née
Tuillerie) sous le pseudonyme de G.
Bruno (nom d'un philosophe italien du XVIe siècle brûlé
par l'Inquisition pour avoir soutenu des thèses trop rationalistes
pour son époque), cet ouvrage est sans doute le plus gros succès
de littérature pédagogique de tous les temps : plusieurs
centaines d'éditions, celle dont nous disposons est de 1913, c'est
la 366e, 8 600 000 exemplaires vendus, toujours diffusé en fac-similé
(notamment une réédition spéciale du texte primitif,
avec une importante postface, pour le centième anniversaire de
la première, en 1977).
C'est un Livre de lecture courante, avec 212 gravures instructives pour les leçons de choses et 19 cartes de géographie, qui porte en sous-titre Devoir et Patrie. C'est dire que son objectif n'est pas seulement
l'entraînement à la lecture des enfants du Cours Moyen, mais
qu'il veut aussi nourrir les autres enseignements : histoire, géographie,
sciences, et surtout morale et instruction civique.
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Un film muet tiré
de ce récit, produit par Pathé-Consortium Cinéma, a été
réalisé en 1923 par Louis de Carbonnat. C'en est une version
abrégée qui a été montée en films 9 mm 5
pour Pathé-Baby, en 1925, et que l'on nous a gracieusement offerte (16
cassettes rondes de 10 m chacune, dont hélas une est vide). Une autre
copie réduite en 9,5 mm a été réalisée en
1937 (6 bobines de 100 m, durée 1h30 environ).
La Cinémathèque de la Ville de Saint-Etienne
a projeté en 2000 et 2003 une copie restaurée de ce film, et nous
a obligeamment fourni de précieuses informations le concernant.
Le thème
Dans le contexte d'humiliation nationale d'après la déroute de 1871, deux orphelins de 14 et 7 ans, André et Julien Volden, habitant Phalsbourg (en Lorraine, dans la partie germanophone annexée, avec l'Alsace moins Belfort, par la toute jeune Allemagne victorieuse) cherchent à rejoindre leur oncle Frantz, qu'ils croient à Marseille. Celui-ci doit les aider à conserver la nationalité française, les nouveaux maîtres des lieux leur laissant 9 mois pour cela : ils seront, comme de nombreux habitants de ces territoires, des Optants (voir l'excellent site consacré à cette question). |
C'est le prétexte d'un périple qui, comme l'indique le titre, sera un tour de France, passant par Epinal, Besançon, Lyon, Clermont-Ferrand, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Dunkerque, Lille, Reims, Paris... A pied, en voiture à cheval, en train, en bateau sur la mer, en péniche sur le Canal du Midi, en bateau de nouveau avec naufrage en Manche, par le train encore, les deux héros découvrent les paysages et les activités des régions traversées, l'histoire de leurs grands personnages, la qualité humaine de leurs habitants, exaltant la fierté nationale dans la diversité des provinces. Ils font l'apprentissage du courage et de la persévérance, cultivent et fortifient leurs vertus républicaines, le sens du devoir et l'amour de la Patrie. |
André et Julien Volden sur un chemin
des Vosges
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Le ton
Alors que l'ambiance de l'époque était à
la revanche (venger l'affront de Sedan, reconquérir
par les armes les provinces perdues), ce livre a l'ambition de démontrer
que c'est par la rigueur morale, le travail et le sens du devoir de ses citoyens
qu'une nation peut établir sa supériorité. D'un chauvinisme
indiscutable, il ne cède à aucun moment au bellicisme
dominant en ce temps. Pour cela, les petits écoliers de la fin du XIXe
siècle avaient d'autres supports que cette lecture : entraînement
militaire (bataillons scolaires), chants
patriotiques martiaux etc. Il en sera tout autrement avec Le
Tour de l'Europe pendant la guerre, suite de la vie des personnages
quarante ans plus tard.
L'auteur manie une langue très châtiée, souvent même trop recherchée pour le public visé (enfants de 10–11 ans).
Les différentes éditions
Le texte primitif dont nous disposons (probablement
une réédition postérieure à 1918) est précédé
d'extraits des programmes de 1882, où figurent encore, parmi les thèmes
de morale à enseigner, les Devoirs envers Dieu. L'ouvrage contient
donc plusieurs séquences décrivant la prière du matin ou
celle du soir, une place honorable est faite aux monuments religieux et aux
grands hommes d'église.
Une édition scolaire en 1906 a été
radicalement (le mot est juste !) expurgée de toute référence
religieuse, pour répondre aux exigences de neutralité des commissions
de contrôle des manuels ; le texte primitif néanmoins sera
toujours diffusé, sans doute pour garder le marché des écoles
confessionnelles. Dans cette édition scolaire, quasiment inchangée
jusqu'en 1919, le nom de Dieu est gommé de partout (toutes les expressions
de type Mon Dieu, avec l'aide de Dieu etc.ont disparu même
des citations); les personnages ayant quelque attache avec l'église ne
sont plus mentionnés (exit Vincent de Paul, Bossuet, Fénelon
et bien d'autres; l'abbé de Saint-Pierre est devenu le philanthrope
de Saint-Pierre, etc.); les monuments religieux ont disparu : sont rayés
de la carte parisienne Notre-Dame, la Sainte Chapelle et l'Hôtel-Dieu
(quel gros mot !); on ne voit plus Notre-Dame de Fourvière à Lyon
ni Notre-Dame de la Garde à Marseille (mais seulement le petit sémaphore
qui est tout près...). Et bien sûr, prières et actions de
grâces ont été supprimées. Les derniers mots du récit
du voyage sont toujours Devoir et Patrie, mais on y a ajouté
: Humanité.
Un épilogue est ajouté, qui montre
les personnages une trentaine d'années plus tard, réunis à
La Grand'Lande pour le nouvel an 1905.
Cliquer ici pour
accéder au texte complet de cette édition, la plus
répandue, mise en ligne par un internaute courageux .
Une édition encore postérieure
(après 1918, mais l'état du livre ne permet pas de la dater exactement)
se termine par cette phrase : "Nous retrouverons dans Le Tour
de l'Europe pendant la guerre nos amis du Tour de la France réunis
à la Grand'Lande le 11 novembre 1918, fêtant la gloire de la patrie
victorieuse, pour laquelle neuf de leurs fils ont payé de leur sang le
retour de l'Alsace à la France."
Deux rééditions sont encore
actuellement disponibles aux Editions
Belin : l'une est ce manuel scolaire de 1906, l'autre, dite du centenaire,
est le texte primitif de 1877, dans une présentation très soignée,
comportant une Postface bien documentée qui éclaire l'ouvrage
de synthèses historique, sociologique et pédagogique (auteur :
J.P. Bardos).
Autour du livre
De nombreux travaux de recherche l'ont utilisé comme matériau
(témoignage de la vie quotidienne de son temps, de la vie économique
et sociale du pays). L'un des plus récents est une somme critique des
enrichissements du patrimoine initiés par ce livre.
Des émissions de télévision (sur La Cinq) et de
radio (France-Culture) y ont été consacrées, notamment
autour du Centenaire (1977). Le texte primitif a été diffusé
en 1976 en radio-feuilleton sur France-Culture, lu par Michel Bouquet, dans
une réalisation de G. Delaunay.
A Phalsbourg, d'où est parti ce Tour, dans la salle du Musée consacrée essentiellement à Emile Erckmann (enfant du pays lui aussi, auteur avec Alexandre Chatrian de nombreux "romans nationaux" bien connus des écoliers des 3e et 4e républiques : Le Conscrit de 1813, l'Ami Fritz etc.), une vitrine lui est consacrée ; il y existe une rue du Tour de la France par deux enfants (près de la Porte de France par où André et Julien ont quitté la ville) ; et chaque année un groupe de jeunes Phalsbourgeois effectue l'une des étapes décrites dans l'ouvrage : par exemple en 2002, septième étape Valence-Marseille (voir article des Dernières Nouvelles d'Alsace), ou en juin 2005, Besançon-Les Rousses (à travers le Jura).